
Nous t’avions tourné autour tant de fois.
Va savoir pourquoi, nous peinions à y aller. Sauter le mur une fois. Ressortir sans trop savoir pourquoi. Trop de voisins, trop de passage, trop de risque de squat. Tant de mauvaises raisons.
Revenir à toi; se dire que ce serait mieux de jour, ou à trois. Que des prétextes.
Puis nous t’avons abordée. Tout en tension: es-tu encore occupée ? on entend les voisins à travers ton mur mitoyen, chuchoter. Vérifier les recoins. Réaliser horrifiées qu’une fois de plus, tu fus l’abri d’une personne un peu dérangée.
Mouroir, mon beau mouroir, dis-moi que je suis la plus saine.
Tu as donc offert asile à un homme. Passionné de livres. Il y en a partout, trop. Ça déborde, ça s’accumule, ça s’entasse. On marche dessus, on s’assoit dessus, on trébuche dessus, ils jonchent le sol, les escaliers, la moindre surface. Ils sont partout, tu en es couverte.
Médecine, astronomie, droit. Nous tentons de trouver une logique dans tout ce fatras. Ton hôte était médecin. Ha non, mais scientifique. En tout cas fort cultivé. Ha, et intéressé par le judaïsme; et par le marxisme. Et… Nous renonçons à comprendre.

A l’étage, une pièce attire notre attention: ce devait être le cabinet de lecture, ou la bibliothèque. Comment est-ce possible ? Bien que cela soit difficile à croire, cette pièce est sans doute ton cœur, là où palpita sourdement la névrose de ton locataire. La pièce est littéralement ensevelie sous des centaines de volumes. Nous vacillons sur une couche instable et mouvante épaisse à en frémir. Abasourdies devant ce spectacle unique et déroutant, nous apercevons dans un angle mort, une petite pièce attenante. Un genre de laboratoire ? carrelage blanc aux murs, des éviers, une paillasse, et posée là, une grande cage vide… le malaise est oppressant.
Nous posons néanmoins dans ce décor de film d’horreur; nous rigolons, moitié cynisme et moitié nerfs.
De dehors nul ne pouvait imaginer ce que tu dissimulais pudiquement derrière tes murs. Trompeuses façades: tu cachais bien ton jeu.
Un jour prochain, ils viendront te vider, te nettoyer, te restaurer. Alors, les murmures des amoureux et les cris des enfants fleuriront en ton sein. Ça va aller, tu verras.

Posté par Alizarine
Impressionnant. Au moment où tu parles de la cage, j’ai imaginé une cage assez grande pour y mettre un homme. J’ai été rassurée en voyant la photo 🙂
Honnêtement, la pièce était glaçante, toute la maison du reste. Si ça se trouve le brave homme élevait paisiblement des lapins en plus 😉